Le tatoueur italien Marco Pepe est un peu à part dans le monde du tatouage. Peu d'artistes combinent comme lui sur la peau leurs passions pour la peinture et l'art abstrait. Depuis une quinzaine d'années, Marco développe ainsi un style très personnel dont l'esthétique colorée s'inspire des années 1980 et 1990, ainsi que du surréalisme.
Bonjour Marco, tu es originaire de Naples. Tu y vis toujours ?
À l'âge de 22 ans, j'ai déménagé aux États-Unis pendant quelques années, puis j'ai vécu au Royaume-Uni, à Paris et à Munich, des endroits qui m'ont beaucoup formé.
Dessin et peinture, qu'est-ce qui vient en premier ?
La peinture est mon premier amour. Je l'ai étudiée aux États-Unis et j'ai beaucoup appris sur la culture urbaine là-bas, ainsi qu'à Paris. C'est pourquoi, lorsque je peins, je mélange la forme des années 1980 et 1990 et la culture urbaine avec l'abstraction.
Quand le tatouage est-il entré dans ta vie et as-tu décidé d'en faire ta profession ?
À l'âge de 28 ans, je suis revenu de Paris en Italie pour faire une séance photo dans le cadre de mon ancien travail et, pendant une journée libre, j'ai décidé de visiter une convention de tatouage. C'est à ce moment-là que j'ai compris que le tatouage pouvait être un moyen terme entre l'art et ce que j'aimerais faire.
Tu n'as pas toujours fait de l'abstrait, peux-tu nous parler de ta carrière jusqu'à présent ?
Quand j'ai commencé à tatouer les tatouages abstraits étaient très loin de l'imaginaire des gens. Dès le début, j'ai essayé d'ajouter une petite partie abstraite dans mon travail, mais c'était évidemment très difficile parce qu'en 2009, personne n'avait vu ça. Alors, comme la plupart des tatoueurs, j'ai commencé à faire presque tout et j'étais très passionné par le néo-traditionnel.
Depuis combien de temps fais-tu de l'abstrait ?
Cela fait environ 10 ans. La plus grande difficulté avec ce style est de faire une composition qui épouse parfaitement la forme du corps et corresponde à la signification souhaitée par le client. C'est pourquoi mon approche personnelle du tatouage abstrait est de peindre le projet directement sur la peau comme tu peux le voir sur mes réseaux sociaux.
C'est exact, les vidéos que l'on voit sur Instagram te montrent en train de peindre avec un pinceau à main levée, au plus près du corps, avant de tatouer. Quel type de préparation cette technique nécessite-t-elle ?
Avant le pinceau à main levée, je passe des heures à imaginer un flux. Une fois que j'ai une idée, je commence, avant de créer un quadrillage de toute la zone, à définir les espaces et ce que tu vois dans les vidéos n'est que les dernières minutes de tout le processus. Ce que tu ne vois pas, c'est moi, regardant les mouvements du client et changeant tout ce que j'avais en tête pour suivre les mouvements naturels de son corps. Parce que les tatouages abstraits doivent être comme une seconde peau, avoir l'air cool avec chaque mouvement du corps. En fin de compte, je pense que cela nécessite une étude approfondie de l'anatomie.
Tu définis ton approche de la peinture comme de la "peinture aquarelle dure", peux-tu nous dire ce que cela signifie ?
Le hardpainting est apparu en 2016 lorsque les tatouages à l'aquarelle étaient très "washy" et légers. J'ai décidé d'apporter plus de ma peinture et de son aspect visuel dans mes tatouages, donc avec le mot " hardpainting " je voulais souligner l'idée de quelque chose de très contrasté, avec beaucoup de noir et des couleurs très vives. Je voulais faire une différence entre les œuvres très délicates que j'avais l'habitude de voir et les miennes, très fortes et puissantes.
On pourrait avoir l'impression qu'il n'y a pas de frontières entre la peau et la toile, et pourtant il y en a. Quelles sont les difficultés rencontrées pour obtenir cet effet d'aquarelle sur la peau ?
Lorsque tu décides de transposer quelque chose qui est né sur une surface, sur une autre, je pense est nécessaire de trouver une bonne adéquation entre la technique et l'aspect esthétique. La peau change au fil des ans, mais pas le papier. J'ai donc essayé de construire quelque chose de très solide qui puisse conserver sa structure au fil des ans. J'utilise des formes qui suivent la peau pour qu'elles soient belles même lorsque la forme de la peau change et vieillit.
Tes couleurs sont particulièrement vives. Comment as-tu construit la palette que tu utilises ?
C'est quelque chose qui vient de la peinture, cela s'appelle la colométrie. Je pars de deux couleurs, puis je définis une gamme complète d'environ 20 ou 25 couleurs. Pour moi, le contraste est la base d'une bonne palette de couleurs.
La couleur de la peau de tes clients influence-t-elle tes choix ?
Oui, elle peut tout changer. C'est pourquoi je suggère toujours un certain type de couleurs lorsque je vois la peau et mon premier conseil est d'éloigner la peau du soleil et de ne pas être bronzé à l'approche de la date du rendez-vous.
Le vieillissement de la peau conduit inévitablement à une perte d'intensité de la couleur au fil du temps. Comment faire face à cette fatalité ?
Il est évident que les couleurs changent. Personnellement, je pense que le tatouage fait partie de nous et qu'il est bon de penser qu'il vieillit avec nous. Comme les cheveux deviennent blancs, je pense que c'est cool de voir des personnes d'un certain âge avoir des couleurs délavées. Évidemment, il y a des techniques pour les rendre très vibrantes pendant de nombreuses années, comme par exemple utiliser beaucoup de noir pour créer un contraste solide et rendre les couleurs plus lumineuses.
Quel est le bon équilibre entre le noir et les couleurs ?
Je pense que le bon équilibre est de 40 % de noir et 60 % de couleurs. C'est la formule que j'utilise personnellement dans mon travail.
L'abstrait n'est pas le seul élément avec lequel tu travailles, tu le combines avec un peu de figuratif et de réalisme. Quels effets recherches-tu ?
Lorsque je place des figures plus réalistes dans mon travail, j'essaie de suivre l'idée du surréalisme. Je cherche à donner un sens à la déformation de la réalité qui m'entoure.
Quel rôle joue la peinture dans ton expression artistique ?
Il est très important. Dans ce domaine, je suis très vieille école. À mon avis, si tu veux faire de l'art, tu dois étudier et savoir comment dessiner, utiliser des pinceaux, connaître la densité de la peinture et savoir comment rendre tout ce que tu fais unique mais aussi techniquement très bien fait. + IG : @marcoencre http://www.encretattoo.it/site/